COMPLAINTE DE LA BÊTE DU GÉVAUDAN |
Complainte au sujet de la bête farouche qui ravage le Gévaudan |
Venez les yeux en pleurs Ecoutez je vous prie Le récit des horreurs d'une bête en furie si redoutable qu'on n'a rien vu de pareil on ne peut voir la semblable sous l'éclat du soleil | Tout est en désarroy Dans notre voisinage Tout est saisi d'effroi Voyant un tel carnage L'affreuse rage De ce cruel animal Ote d'abord le courage A chacun en général | Au bois de St Chély La bête carnassière A dévoré aussi D'une dent meurtrière Quinze personnes Hommes, femmes et enfants Tout le monde s'en étonne Mais surtout les Paysans | Lorsqu'elle tient sa proye Cette cruelle bête En dévore le foy Le coeur avec la tête Monstre funeste Cet animal dévorant A craindre comme la peste Ne s'abreuve que de sang |
Ce monstre si affreux Est si épouvantable Qu'on croit voir à ses yeux La figure effroyable Chacun se cache Afin de se garantir Sans que personne ne sache Comment la faire périr | Monsieur notre prélat A nos malheurs sensible Pour remplir son état A fait tout son possible Par des prières Pour écarter ce grand fléau Considérant la misère Qu'à souffert son cher troupeau | Sa grande cruauté L'a fait voir à Pradelles Ou elle a dévoré Plusieurs jeunes pucelles Chacun frissonne En voyant dans un moment Au moins 22 personnes Réduites au monument | Elle fut quelque temps Du coté de Langogne Ou tous les habitants Eurent de le besogne Pères et Mères Perdirent plusieurs enfants Les bergers et les bergères N'osoient plus aller aux champs |
Deux cens braves dragons Lui ont donné la chasse Dans tous nos environs Le peuple suit sa trace Pour la détruire Mais c'est inutilement Elle continue à suivre Dévorant cruellement | Au bois de St Martin Une jeune bergère Fût dévorée soudain Dans les bras de son père Pour la défendre Il fit mille et mille efforts Enfin il fallut se rendre La fille fût mise à mort | Entre Mende et St Flour Tout proche La Garde Un homme en plein jour Fatigué de la charge Couché par terre Y dormoit Profondément Lorsque la cruelle bête L'étrangla dans le moment | Voici comme on dépeint Cette bête farouche Que tout le monde craint Elle est longue et grosse Trés formidable La tête comme un cheval L'oreille en corne étonable Et le poil roux comme un veau |
Les yeux étincelants D'un regard redoutable Sont deux brasiers ardents Tout est épouvantable Dans cette bête Que le monde craint si fort Car des pieds jusqu'à la tête Elle présage la mort | Cet animal subtil Que l'on suit à la piste Ne craint point le fusil Chacun à le coeur triste Les coups qu'on tire Ne font qu'effleurer la peau Dans le coeur chacun désire De la voir dans le tombeau | Il s'avance en rampant Quand il veut faire chasse Derrière, non devant Tous ceux qui pour là chasse Puis il s'élance En leur sautant au colet Et leur coupe avec aisance La tête tout franc & net | Par son agileté Il fait huit lieues par heure Sa grande activité Fait donc qu'il fit demeure Sur une terre Jamais que trés peu de temps Cette effroyable bête Fait trembler nos habitants |
Le brave Duhamel Sans cesse à sa poursuite A l'animal cruel A faite prendre la fuite Il va paroître Bientôt dans le Vivarais Voilà qu'il se fait connoître A St Laurent à Natais | Les pauvres voyageurs Surement sont à plaindre Voyant tant de malheurs Chacun a lieu de craindre Car on fait nombre De quatre cents paysans Que la bête de ce monde A dévoré par ses dents | La paroisse de Breau Le diocése de Mende Le village de Gréau Dont la frayeur est grande Ont vû de rage Une fille de 12 ans Fût dévorée, quel dommage ! Une femme en même temps | Le trés Saint Sacrément Par ordre & remise Est donc journellement Exposé dans l'église Oui, c'est à Mende Ou le peuple prosterné Prie, gémit & demande Pardon à Dieu pour jamais |
A de si grands malheurs Soyons du moins sensibles Fléchissons par nos pleurs Un Dieu bon & terrible Chrêtiens fidéles Adorons ce Jugement Imitons les Tourterèles Poussons de gémissements |